Novembre / Décembre

Jeudi 1er novembre
Les aurores pour ma BB et moi afin de ne pas rater le TGV de 7h30 direction Big Lutèce. Une paye qu’on avait rejoint la capitale. Occasion de ce viaduc professionnel (en pause depuis dimanche soir pour ma BB, mardi soir pour moi) pour visiter les familles. Première halte à Rambouillet pour découvrir le nouveau nid de Jim et Aurélia, bien plus spacieux que leur placard du XVIe parisien. Déjeuner partagé avant de rejoindre, tous les quatre, Saint-Crépin Ibouvillers chez Maman et Jean.
Des suites d’aménagement, après réfection, du premier étage avec, sans doute, au moins une chambre prête à usage. Dès le samedi midi, nous retrouverons Rueil Malmaison, pôpa et sa petite famille bien peu vus cette année. De rares plaisirs affectifs à densifier sans retenue.


Digression
La nature automnale défile en ce matin bleu, quelques gelées blanches émergeant au gré du frimas en volutes prégnantes.
Qu’elle est belle cette France effleurée à grande vitesse : les pastels d’une nature en voie d’hibernation s’écoulent au fil des courbes agrestes ; les logis truffent, sans jurer, les vallons et mamelons mis en branle par notre fuite vers le Nord. Trompeuse immuabilité de ce fragile enchantement du hasard et de la vitalité dardé par les rayons de l’astre ascendant. La vie ennoblit terres et roches ; l’esprit vagabonde, aspirant à une harmonie utopique.
L’humanité déçoit par son contingent de malfaisants. Aucune catégorie, section, parcelle de l’espèce désignée dans cette cohorte hétéroclite : de la petite frappe profiteuse, centrée sur la satisfaction immédiate de ses ineptes besoins, surtout au détriment du bien commun, jusqu’au notable se torchant avec le contrat social pour combler ses intérêts. Chacun, dans sa sphère méprisante de l’autre, désespère un peu plus du système collectif salopé. Se contenter d’observer illusionne sur sa propre capacité à échapper à la bourbe ambiante.
Revenir aux beautés sans conscience d’une nature offerte. La tension vocale d’Alanis Morissette, l’émotion croissante de That Particular Time bouleverse mes ronchonnements, plongé dans cette nappe brumeuse qui occulte les merveilles d’un espace débarrassé des fatuités sonores, des salauderies braillées, des inepties débitées pour se rassurer de sa présence à l’autre. Poussée misanthropique, comme un gênant urticaire à dissimuler… je ne veux pourtant pas l’ignorer. Elle rythme, depuis petiot, mon rapport à ce monde. Des plongées dans son histoire à l’imprégnation quotidienne de l’actualité, je ne parviens pas à rester enthousiaste.
Si l’extrême majorité, à laquelle je m’agrège, ne fait que vivoter
en s’accordant quelques excroissances jouissives, la part malfaisante dévoie les règles collectives du bien vivre pour enfler leur ego et satisfaire leurs folies ordinaires.
Revenir aux étendues esthétiques pour reposer un peu ses tourments et espérer que l’aventure humaine ne s’achève pas dans un chaos nihiliste…

Dimanche 18 novembre, 0h10
Routine d’une certaine densité professionnelle ne me laissant plus trop le loisir du vagabondage scriptural. Facile justification qui occulte certainement un évident tarissement intérieur. Témoignage sans constance, soumis aux poussées urticantes, mais sans profondeur mesurée.

Cette fois, l’éloignement d’avec Heïm, Sally et autres semble accompli et irréversible. Je ne serais pas étonné de ne recevoir de nouvelles qu’à l’occasion du décès de Heïm, que Karl m’annoncera d’une voix grave, presque recueillie. Je n’éprouverai alors ni peine, ni satisfaction, juste la sensation d’un terme à un chapitre majeur de mon existence. Peut-être la tentative de renouer les liens avec Alice, que je n’aurais jamais dû rejeter de la sorte. Seule figure, avec Karl, que je regrette d’avoir perdue.
Sensation d’une si extrême froideur, d’un tel détachement, que j’en viens à soupçonner chez moi, malgré moi, une posture sans grande assise jusqu’au boutiste. Et pourtant… cette indifférence à Heïm et à son univers se confirme plus ancrée en moi les années passant même si, pour nourrir les introspections du diariste, je reviens sporadiquement dans ces pages sur ce thème et son actant principal. Se comprendre et jauger sa trajectoire ne se conçoit qu’en se colletant à toute son existence, et notamment aux pans dont on se distingue au jour de la démarche.
Alors pas de faux-semblant : l’extrême modestie d’existence s’est substituée aux avantageuses projections qu’inspirait le château. Et pourtant… aucune nostalgie de cette frénésie.
22h20. Vu ce jour Elo, avec ma BB, pour raclette partagée chez nous suivie d’une toile aux 8 Nefs sur un écran de poche. Va bien l’Elo, avec ses vingt-six ans, son mordant, son Julio qu’elle pense retrouver définitivement l’été prochain à Tignes. Attachant de la voir évoluer au fil des années. Un des très rares contacts lyonnais qui perdurent. Les Bonny et Eddy, pourtant relancés, n’ont rien concrétisés, les Jean-Luc et Barbara n’ont pas renouvelé (à notre tort, nous aurions dû les inviter chez nous), l’Aude (plus sûr du prénom) a simplement disparu, les Aline et Pedro se font rares… Le tissu relationnel commun se réduit donc à peu de choses. Mieux comme ça, n’ayant qu’un week-end sur deux à partager.
Demain les grévistes minoritaires poursuivent leur combat d’arrière garde. SNCF, RATP et EDF s’alourdissent de ces employés à vie mécontents qu’on aligne leur régime de retraite sur le droit commun. Cirque de ces pseudo mobilisations qui se font le plus souvent sur l’intimidation perlée et l’art du grégaire. Le vote à bulletin secret dans les assemblées générales modifierait notablement le poids humain, et donc politique, de ce mouvement social.
Le parallèle avec les agitations au sein des universités s’impose : là encore une minorité idéologisée impose ses blocages, ses gueulantes contre une réforme dont la plupart n’ont qu’une caricature au mieux, une traduction mensongère au pire comme catalyseur de grognes.
Un projet ministériel pour l’université de plus à la vindicte estudiantine. A désespérer de faire se redresser ce secteur sinistré et ô combien en concurrence, à son insondable désavantage, avec les grandes écoles qui, elles, ne tournent pas du nez devant l’argent privé.
Les gauchistes nostalgiques du Tout-Etat à la soviétique sont bien là, bruyamment là pour veiller à ce que nos universités n’entament pas l’ombre d’un pas vers une autonomie. Pour ces gesticulateurs, ce processus conduit rien moins qu’à la privatisation ! Le sale argent privé deviendrait donc seul maître à bord rendant inexorable une sélection infâme, laquelle, évidemment, n’existe en aucun cas aujourd’hui entre les facs délabrées et les grandes écoles magnifiées. Laissons les croire aux merveilles de cet argent public comme seule source de financement. Quel résultat splendide obtenu. Ces étudiants du tout-va-bien empêchent la majorité d’obtenir les réformes nécessaires.

Lundi 19 novembre, 22h30
Au menu social de demain : grève, encore et toujours ! Le Besancenot, de passage dans l’émission radio-télévisée Le franc-parler, a débité ses antiennes révolutionnaires pour défendre les terreurs minoritaires qui poursuivent la grève. L’extrême gauchiste voudrait délaisser ses poussiéreux oripeaux trotskistes matinées de Krivine soixante-huitard pour un nouveau mouvement anticapitaliste, et sans réaliste mise en application.

Demain matin, les deux groupes de financement région que j'abhorre pour quelques éléments malfaisants.

Jeudi 22 novembre
Répartition de l’info dans le groupe TF1 : à Poivre d’Arvor le franco-français radoté. Entre les derniers soubresauts de la grève des cheminots et les gueulantes des frileux lycéens qu’horrifie la présence d’argent privé dans l’université, le prisme de ces sujets dérisoires rend plus prégnante la nécessité de s’ouvrir à l’actualité internationale.
A Vincent Hervouët, pour notre plus grand bonheur, le journal du monde qui nous rappelle que lorsque l’hexagone subit le folklore de quelques intégristes syndicalistes, des coins du globe connaissent un vrai chaos. Tout cela rend pour le moins risibles, ou obscènes, les revendications des fonctionnaires et des pré-vieux étudiants chevillés sur le sacro-saint Etat qu’ils sont si prompts à vilipender par ailleurs : un défouloir commode, en somme. Petit actu française nouvelle : le président en retraite Jacques Chirac vient d’être mis en examen pour détournement de fonds publics. Quinze ans après l’ouverture de dossiers l’impliquant, l’ex grand manitou de la mairie de Paris et du RPR connaît un premier avant-goût judiciaire qui a conduit à la condamnation du « meilleur d’entre eux », pour reprendre l’expression de Chirac, le désormais exclusivement Bordelais Juppé… Alors, en toute logique judiciaire, son supérieur hiérarchique devrait écoper d’au moins la même peine.

Dimanche 25 novembre, 0h05
Une nuit de plus sans ma BB en labeur nocturne.
Soirée sans intérêt pour moi, sauf la découverte d’un documentaire consacré à l’acteur Pierre Richard, panégyrique affectueux. Depardieu, Lanoux, Birkin, Darc, Guibet, Barrault, quelques réalisateurs (Lautner, Véber…) et l’immense compositeur Vladimir Cosma ne tarissent pas d’éloges à son endroit.

Le dégingandé filiforme du Grand Blond tient aujourd’hui du bedonnant rêveur. Tellement porté sur les comiques dans l’art cinématographique, il fait partie des plus distrayants dont je ne me lasse pas de revoir les films. A total rebours d’un de Funès, réserve faite de leur énergie commune, le grand bouclé m’a permis quelques régénératrices parenthèses lorsque le sombre entourait toutes mes actions. Merci à ces artistes du comique que les culs pincés de la toile snobent si grossièrement.

Mercredi 12 décembre
La présidence Sarkozy endure son premier vrai échec : c’est dans la mécanique, aux accents si convenus, de la diplomatie que le
fiasco s’affirme. Avoir opté pour la réception fastueuse et sur cinq jours, de l’autocrate illuminé Kadhafi autoproclamé défenseur des tyrannisés d’Afrique par les méchants Européens, constitue l’erreur majeure. Le bougre à la trogne bouffie, détestable dans chacun de ses traits, jubile d’ainsi malmener la politique étrangère française : Sarkozy s’acharne à la realpolitik version VRP qui gonfle son carnet de commandes, Rama Yade fustige sans précaution l’infâme colonel libyen, Kouchner mâchonne son chapeau avant de l’avaler sous les lazzis du parti socialiste, députés, ministres et secrétaires d’Etat d’obédience UMP se désolidarisent du choix présidentiel.

Vendredi 14 décembre, 0h01
Alors que ma contracture musculaire au mollet droit, survenue dimanche soir, se résorbe correctement, je sens poindre toux et éternuements de mauvais augure.
Encore une semaine de labeur alimentaire avant quinze jours de festoiements qui, je l’espère, favoriseront quelques approfondisse­ments diaristes.
Tournis de ces semaines jugées surchargées, car sans grand intérêt personnel. 
Les groupes croisés, notamment ceux issus des financements par la région, attirant quelques caricatures de cité, ne m’inspirent aucun penchant philanthrope.


Samedi 22 décembre
L’après besogne m’ouvre une France à la nature prise par la glace. Les doigts encore engourdis d’une attente prolongée sur le quai, je parviens avec la peine d’un vieillard tremblant à tracer mes lettres liées.
Les habituelles festivités, repas et pots d’avant Noël se sont étoffés d’une invitation de trois collègues appréciés, l’apaisant LD, la lumineuse CM et le complice HG, à boire un verre dans notre nid décoré. Moment sans temps mort où je leur ai fait découvrir quelques facettes de mon aventure éditoriale et littéraire alors que HG jouait au piano et chantait quelques compositions personnelles.

Mercredi 26 décembre

Les tics du pouvoir
La France est dirigée comme une parade aux numéros frénétiques. Les annonces de réformes se succèdent sans que l’on sache la réalité de leur application. Les intentions de remuer un peu l’hexagone demeurent louables, mais la traduction comportementale excède un nombre croissant de citoyens.
Les guetteurs de l’autre rive, d’ailleurs, ne se privent pas de fustiger tous azimuts sans même se soucier qu’on
puisse les confondre en flagrant mensonge. Ainsi stigmatisent-ils les mesures baptisées « paquet fiscal » comme étant destinées à caresser les riches dans le sens de leur fortune, alors que plus de 80 % des dispositions visent les ménages des couches modestes et moyennes : la gauche n’est même plus « ce grand cadavre » sartrien, mais une mesquine charogne à la dérive.
Aux objectifs gestionnaires et structurels s’ajoutent les choix diplomatiques entre novation et perdition.
Lorsque la nécessaire realpolitik s’encombre d’un zèle d’indigne copinage, cela donne les félicitations au vorace Poutine, extrême intelligence du pouvoir despotique maquillé en démocratie. Lorsque la diplomatie fait se coucher la République au nom d’une fumeuse réintégration au sein du concert discordant des nations et de quelques torche-culs commerciaux, cela renforce les courbettes mal placées à l’indignitaire de Lybie qui devrait se reconvertir en animateur bidonnant de harems pour flasques bonhommes libidineux.
Le Kadhafi aura eu le mérite, par ses extravagances, de révéler l’ambivalence de notre président : impitoyable avec les oppositions intérieures, incendiaire avec ses fidèles équipes, il verse dans le convenu, le feutré, la retenue prétendument nécessaires sitôt la claque donnée par un potentat sanguinaire. Combien, pourtant, le panache élyséen eût été flamboyant, et point flétri et crotté comme il est devenu, si l’on avait reconduit à l’aéroport par l’oreille la loutre frisottée et toute sa sordide clique ! 
Le Noël m’a apporté, entre autres présents, le De Gaulle d’Yves Guéna, plongée documentée de multiples fac-similés qui soulignent l’extrême dignité du général de la France libre.
A quarante ou soixante ans de distance, que subsistera-t-il de la trajectoire du Sarkozy courant ? Aux lignes rapides des appels de l’honneur outre manche, quelques griffonnages insipides sur le menu du Fouquet’s ? A la phrase lapidaire, sur modeste format A5 mettant fin à ses fonctions après une défaite indirecte, mais qui marquait sa haute conscience d’une rupture avec l’opinion, les abondances médiatiques du « court sarko show » démultipliant annonces et explications, initiatives et déplacements pour occuper puis embrumer les esprits ?
Espérer l’impact de cet activisme pour le pays c’est négliger la réalité d’une Europe qui régit et d’une mondialisation qui détermine les fondamentaux économiques. Pour nous rassurer sur la modernité du pouvoir, il nous reste la transparence sentimentale d’un président au goût, ma foi, exquis en matière féminine. De l’ex compagne du feu Martin à l’ex mannequin Bruni, que j’encensais déjà en 1995 pour son intelligence relationnelle, le pouvoir s’active au gré des paillettes pour s’étourdir.
Que le paysage politique prenne enfin la mesure du seul vrai clivage qui doit recomposer les partis prétendant au pouvoir ou se cabrant dans la contestation urticante : l’Europe et la suite de sa construction. Le reste, la
gestion du pays, obéit à de tels impératifs, indépendants de notre volonté, à moins de croire au salut de notre isolement autarcique, que les antiennes idéologiques s’apparentent de plus en plus à des barouds d’honneur.
Reste à jauger l’année 2008 qui s’amorce, sans doute truffée de désillusions avec un cinquantenaire chichement fêté d’une Ve, pourtant toujours gaillarde, au profit des dix ans claironnés d’une certaine victoire.

Jeudi 27 décembre
Tout de même, les intentions de remuer un peu l’hexagone demeurent louables, mais la traduction comportementale ne s’affranchit pas, elle, d’un égocentrisme exacerbé qui énerve.
Pas inspiré pour prolonger ce qui constituera mon prochain article-blog, vraie première indignation contre la pratique du pouvoir présidentiel par Sarkozy.
Il fallait attendre : après six mois d’exercice, les contours n’ont rien de prometteurs pour les quatre ans et demi minimum à tirer, sauf imprévu majeur (assassinat, démission…). Je ne renie pas pour autant mon vote, me réjouissant d’avoir évité au pays l’amateurisme caractériel d’une Royal revancharde.
Nous voilà, ma BB et moi, au Cellier pour une troisième mouture d’un Noël prolongé pour cause d’étapes familiales.
Toujours aux anges chez maman et Jean, moins confortables chez mon père, mais une escapade parisienne agréable en sa compagnie pour enchaîner l’exposition sur un peintre du XVIe siècle, les illuminations des Printemps et Galeries Lafayette et, en
point d’orgue final, la remontée des féeriques Champs Elysées avec l’alignement des arbres luminescents. En sus des loupiotes habituelles (mais à basse consommation, cette année), ils sont dotés de tubes parcourus par une lumière liquide. Très réussi. Extrême privilège de pouvoir s’émerveiller de ces lieux préservés des chambards barbares du monde.
Avec les parents de ma BB, sa sœur Louise bien affinée et sa ‘tite nièce Ilya, et en attendant l’arrivée demain d’Emma et François, la convivialité devrait se poursuivre de la meilleure des façons. Seul Richard, le compagnon de Louise, manquera à l’appel pour cause d’obligations professionnelles.
Comme toujours, les semaines de repos filent trop vite. Cela en confirme la texture agréable, à la dimension existentielle recherchée.
Mon père m’a demandé si j’avais des nouvelles de Sally, de Heïm : rien, nib, et cela ne m’affecte en rien. Le temps passant m’éloigne de ces univers eux-mêmes en divergence. Curieuse constitution que la mienne qui ne recherche aucun suivi de contact, qui n’a que très peu d’amis qui se manifestent régulièrement (dans la situation présente, seule Elo s’acharne à maintenir le lien, et je lui en suis gré). Cela relève, sinon, d’accointances de la toile.
Pour en revenir à ce détachement assumé d’une part majeure de mon existence, l’explication est à chercher dans une période d’incubation qui se poursuit : une telle indifférence (même si l’intérêt introspectif subsiste à travers ces pages) acquise sans poussée dépressive, comme un regret de ce magistral gâchis, semble devoir s’ancrer dans la durée d’une sédimentation homéopathique. Qu’une telle personnalité comme Heïm, dont je sais pertinemment que les années de fréquentation sont comptées, n’attise plus aucun enclin de retrouvailles, cela suppose une sécheresse d’âme qui s’amplifie chez moi et/ou un complet épuisement de la relation humaine qui existait entre nous. Un cumul des deux facteurs expliquerait mon peu de propension à entretenir les liens lyonnais.

Vendredi 28 décembre
11h. En cette période d’abstinence télévisuelle et radiophonique, c’est par la presse régionale, en trempant un muffin miellé dans
mon thé au lait, que j’apprends l’assassinat de Bénazir Bhutto. Digne fille de son père, elle est fauchée en pleine reconquête du pouvoir. Quelques mois après une tentative épargnant l’autoproclamée nettoyeuse d’islamistes, mais déchiquetant près de cent quarante personnes, la seconde attaque kamikaze a eu raison de la charismatique dirigeante du PPP. En guise de signature morbide, la tête de l’human bomb s’est offert un vol plané de soixante-dix mètres.
Le Pakistan ne va, sans doute, encore pas connaître d’élections en janvier prochain : Moubaraf tentera, par la poigne étatique, d’éviter la guerre civile et les coups de boutoir intégristes. Dans cette infâme mixture d’arrivistes sanguinaires, rien de net : entre les détenteurs du pouvoir exaspérés par l’appétit politique de la feue Bhutto et les opposants islamistes (pourtant en obscure coalition avec la majorité parlementaire) en haine meurtrière contre l’insoumise, le prisme des prétendants à l’occire laisse possible nombre d’hypothèses.
Jim a eu l’inspiration originale de m’offrir l’essai d’un auteur dont je ne partage pas le bord politique : Ce grand cadavre à la renverse de Bernard-Henri Lévy. Depuis lors, aucune envie de poursuivre deux des bouquins en cours emportés pour les fêtes : L’abolition de Badinter et La décennie de Cusset. Irrésistible penchant à colleter mes arguments à ceux du philosophe politique.
Un gros tiers lu plus tard, un bilan plutôt positif : bien plus de points de convergence que je ne l’escomptais.
Une capacité sans conteste à jongler avec les concepts attachés à des événements historiques phares qui déterminent notre obédience idéologique selon notre façon de les considérer. Cependant, cette adresse lui fait, parfois, frôler l’ostracisme, négligeant de reconnaître des réflexes similaires au camp de droite. Ainsi, son incapacité à « faire la différence entre un despote brun (nazi), rouge (stalinien) ou vert (islamiste) » a été une obsession, pour les deux premières couleurs en tout cas, d’un Gabriel Matzneff, d’un Raymond Aron et d’un Jean-François Revel.
Pas de monopole, donc, dans ce réflexe salutaire.
A noter, toutefois, que le despotisme rouge ne se limite pas au stalinisme comme l’a minutieusement démontré Le livre noir du communisme de Stéphane Courtois et de ses compétentes plumes associées.
Sans doute pour mieux explorer la profondeur de nos fautes historiques, B.-H. Lévy va jusqu’à défendre l’absolutisme de la repentance : « avoir une part de soi qui se sente obscurément, mais fondamentalement, coupable aussi de ce que l’on n’a pas fait ». A ce titre, personne ne peut se relever de sa croix.
La philosophie de Levinas, décryptée par Lévy, et notamment sa distinction de l’homme moral et immoral, trouve de terribles échos dans le comportement des saprophytes d’un système généreux. Tout comme la plupart ne s’estime pas responsable de ce qu’il n’a pas directement commis, une bonne part abuse de droits sociaux (exemple de la Sécurité sociale) par le seul fait qu’elle y contribue et peut, de ce fait, les dévoyer de leur vocation initiale.
Lors de son panorama des indignations spécialisées, et donc malhonnêtes, il s’en prend avec justesse à ce que j’avais qualifié « d’idéologie de l’autruche » : « cette caricature d’internationalisme qu’est, désormais, l’altermondialisme ; et, derrière la caricature, dans son sillage en quelque sorte, la haine du libéralisme, le refus plus ou moins déguisé de l’Europe, et toutes les crispations identitaires, nationalistes, qui vont avec. » Dans ce domaine, plus de clivage droite-gauche qui tienne.
D’autres sujets maintiennent d’aplomb les divergences de ressenti et de traitement. Ainsi des émeutes urbaines auxquelles il s’acharne à déceler du sens et des circonstances atténuantes pour les agités « encapuchonnés comme des membres du ku klux klan ». Sans l’ombre d’un doute, la dérive barbare est « consubstantielle à tous ces soulèvements que le regard éloigné de l’historien a fini par blanchir mais qui ont été, au départ, pleins de férocité et de fureur ». Cependant, le suivisme saccageur et potentiellement meurtrier des délinquants agités ne s’est accompagné d’aucun message pour substituer autre chose à la situation focalisatrice de leur jusqu’au boutisme.
Autre cible de gauche qu’il fait bon piquer à deux, le protosocialiste qui n’accepte toujours pas le capitalisme : « le cerveau dinosaurique du sénateur Mélenchon auquel l’information tarderait à parvenir ». Et n’oublions pas l’impardonnable rôle de fossoyeur de l’UE tenu par cet arrière-gardiste de la gauche française. Il en subsiste encore pour croire à une famille politique s’épanouissant (s’écartelant, plutôt) de Strauss-Kahn à Besancenot : on a d’ailleurs pu apprécier la splendide unité à l’occasion du débat autour du feu traité constitutionnel.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire